dimanche 25 août 2019

Bulle

la dernière lettre s'est posée sur toi 
mais il reste tes histoires
ton écriture où la vie demeure...




"Des bulles de savon, chef d’œuvre de lumière 
 Scintillaient, scintillaient sous les feux du soleil
 L'une pourtant brillait d'une couleur plus fière
 Car un cœur palpitait dans ce globe vermeil. 

Toute l'histoire ou presque toute, tient dans ce quatrain...!

A cette époque, les enfants pouvaient se divertir sans que le budget familial en souffre beaucoup! Selon les saisons, on jouait aux billes, au cerf volant, on tirait avec une fronde à élastiques de fabrication maison. Sur de vieilles boites à conserves des concours étaient organisés pour faire tourner des toupies le plus longtemps possible, en les battant avec un fouet. Aux heures les plus chaudes, assis à l'ombre, ceux qui brillaient par leur habilité, se mesuraient dans d'interminables parties d'osselets. Et j'en passe...

Ce que Rémi préférait à tout c'était faire des bulles de savon. Passé maître dans cet art, il en connaissait toutes les combines. Les bulles si fines, si merveilleusement irisées, mais aussi tellement fragiles peuvent en fait se poser sur un tissu moelleux sans éclater, et même se poser à nouveau. On peut accoler les bulles les unes aux autres et les assembler en grappes. On peut aussi sans risque, avec un chalumeau les percer pour gonfler à l'intérieur une bulle plus petite. J'en passe encore!...

Mais suivez-moi bien car ces choses là ne peuvent être inventées. D'une pipe de bruyère empruntée à son père et sur laquelle était gravée "Vive la classe G", Rémi tirait avec l'aide de feuilles d'armoise sèches une acre fumée qu'il insufflait dans une bulle de savon. Celle-ci, blanche et opaque, prenait son essor et, quand elle crevait, la fumée libérée se dissipait très vite. Si aujourd'hui des gens voyaient passer au dessus de leur jardin un tel O.V.N.I ils diraient aussitôt:

"Tiens! une ampoule au krypton qui s'envole!..."




          "... Un jour, Rémi, que rien n'arrêtait dans la recherche, introduisit dans le chalumeau de la bulle qu'il gonflait de petits brins de tissu bien pelucheux et, comme au jeu de sarbacane, fit entrer mais doucement ces "corps étrangers" dans la sphère, sans que celle-ci en souffrit.

Et aussitôt une idée folle germa dans son esprit. Mais la folie d'aujourd'hui n'est-ce pas souvent la sagesse de demain? Pourquoi, pensa-t-il ne pourrais-je pas m'enfermer dans une bulle très grande et m'envoler très haut dans le ciel. Il me faudrait bien sûr des vêtements de velours des chaussons de satin. Mais il faudrait aussi un tube d'un très grand diamètre pour  y insuffler l'air, et quel géant pourrait l'emboucher et souffler assez fort ?


Après de longues réflexion et des insomnies que l'eau de fleur d'oranger ne parvenait pas à vaincre, Rémi crut avoir avancé dans la solution de son problème. Mais il fut distrait de ses préoccupations par un événement local traditionnel : l'élection d'un petit roi d'un jour. Tous les ans était désigné un enfant mâle pour un règne absolu d'une journée de vingt quatre heures, située  au lundi de Pâques. Le choix de cette année là se porta sur Rémi, qui fut revêtu au jour dit du manteau royal et coiffé de la couronne. Le lecteur pourrait penser que donner les pouvoirs absolus à un enfant, fut-ce pour un jour n'est pas sans risques. Et bien qu'il se détrompe ! Rien de fâcheux n'est arrivé, jusqu'au lundi de Pâques, Rémi resta dans la bonne tradition, mis à part le défilé des dames et des demoiselles, en combinaison sur la place de l'église, et la réunion obligatoire du conseil municipal aux grand complet, sous la présidence de l'âne du meunier, la gestion de Rémi se borna à des pensums dans le style des gages donnés au perdants dans certains jeux. Notons pour le détail que le baudet municipal devait être attaché assis sur le fauteuil de monsieur le maire et chausser les lunettes du magistrat.

        

Vers dix neuf heures Rémi se montra à ses parents dans un état de fébrilité qu'ils jugèrent inquiétant : "Rémi va te coucher tout de suite dit le père!"  Et l'enfant nonobstant ses pouvoirs royaux, opta pour l’obéissance, non peut-être sans malice car le projet de bulle porteuse le préoccupait à nouveau. Le moment de le réaliser ne serait-il pas venu ?





              "...Quand toute la famille, la bonne et le chien seraient endormis...Mais quelle barbe d'attendre! et aussi de s'efforcer de ne pas dormir soi-même. Enfin, enfin un grand silence se fit dans la maison! Allez hop! Debout Rémi !

Il faut que je m'habille, que je prépare tout et que je quitte la maison sans éveiller personne. Mais toutes les précautions prises par l'enfant pour éviter le bruit provoque un tintamarre. Il descend au rez de chaussée rafle à la buanderie toutes les boites de savon en paillettes qu'il peut trouver. Dans l'escalier de la cave, un grand tube de carton d'un très fort diamètre lui barre le passage et à cause de l'obscurité, le fait culbuter jusqu'à la dernière marche, sans éveiller qui que ce fut.

"Mais se dit Rémi d'où sort ce malencontreux tuyau que je n'avais jamais vu ? Malencontreux! Pas tant que ça ! C'est exactement ce dont j'avais besoin ! Dehors la lune brille dans un ciel scintillant d'étoiles.

Vite armé de son tuyau, Rémi gagne le lavoir. Le robinet ouvert, l'eau coule à grand bruit. Le petit roi, quoique gêné par son majestueux manteau, verse le savon dans l'eau et à l'aide d'un bâton remue très fort pour obtenir le bon mélange, puis à grand mal il parvient à tremper l'orifice du volumineux tuyau dans le bouillon et miracle la pellicule d'eau savonneuse génératrice de bulle s'est formée! Tiendra t-elle assez longtemps ?  

En ouvrant le portail de la cour qui ne lui fait pas grâce de ses gémissements, Rémi dans un réflexe, regarde là-haut la fenêtre de la mansarde où Julie la petite bonne, veille habituellement très tard pour lire des romans photos, mais la lampe a été éteinte.


Sans oublier la corde et le pieu qui lui seront nécessaires, Rémi vole vers la falaise au niveau supérieur de laquelle la maison a été édifiée. En un point l'escarpement présente une longue crevasse, pas très large au sommet mais s'évasant fortement jusqu'en bas. Arrivé là, Rémi constate que la pellicule a bien tenu. Tout ça pense soudain le petit roi semble trop beau pour être vrai : le bruit qui n'éveille personne, même pas Babou le petit chien, le tuyau venu là comme par miracle, l'embryon de bulle exceptionnellement résistant, la bonne tôt couchée ! Rémi se pince, comme font les gens pour s'assurer qu'ils ne dorment pas. Mais se dit-il, tout aussi soudainement, peut-on rêver et, en même temps douter de la réalité de son rêve ?..." 



"...Fort de ce raisonnement, Rémi reprend confiance.

"Mais, fi des états d'âme ! Allez au travail!" se dit-il. Faire descendre le tuyau dans la crevasse au bon endroit et le coincer solidement mais sans heurt, enfoncer le pieu en terre et y fixer la ficelle, tout cela ne présente aucune difficulté. Mais on revient toujours au même problème: comment gonfler la bulle? Seul le vent pourrait y arriver; quoi de plus facile pour lui qui fait tourner les ailes des moulins et emporte les cerfs volants au ciel.

"Holà, monsieur le vent, à l'aide, à l'aide, je vous en prie !"

Et, avant que Rémi ait repris son souffle pour appeler à nouveau, une grosse voix se fait entendre:

"A vos ordres Majesté, que puis-je faire pour votre bon plaisir ? "

En deux mots ce gros joufflu a tout compris et déjà la bulle grossit, grossit, on peut la voir , du haut de la crevasse, grâce à la clarté lunaire. Il suffit d'un claquement de doigts pour tempérer l'ardeur du vent, et tandis que Rémi à l'aide de la corde, descend dans le tuyau, puis dans la bulle, le gros joufflu se tient prêt pour la deuxième phase de l'opération. Le vent devait en maintenant la pression d'air dans le tuyau, souffler bien en arrière dans la crevasse pour faire décoller la sphère et conduire celle-ci sans heurt à l'extérieur de la faille.

Tout se passa bien et la bulle libérée fut propulsée au delà de la falaise où un courant d'air ascendant la fit monter au ciel. La dangereuse déformation qu'avait subi l'engin au moment du décollage disparut vite et celui-ci retrouva sa forme sphérique, non, pas exactement, car du fait du poids de Rémi il ressemblait plutôt à un œuf, un immense œuf de Pâques merveilleusement irisé et recelant dans son sein le plus beau cadeau !..."





"...Pour Rémi, après la tension nerveuse due à son équipée fantastique, le sommeil vint rapidement grâce au bercement de l’aéronef, mais l'enfant gêné par une trop grande lumière s'éveilla rapidement. Le soleil haut dans le ciel éclairait et chauffait la bulle par effet de serre.

"Je vais ôter mon manteau, décida Rémi, mais cette mesure se révéla insuffisante. Je ne peux pas appeler madame la pluie pour m'aider, je ne suis pas roi, j'ai dû abdiquer à minuit! "

Mais elle vint tout de même, avec ses yeux baignées de larmes et ses longs cheveux ruisselants répandus sur son corpsDes petits nuages se formèrent qu'elle poussa juste entre le soleil et la bulle. Un des enfants de madame la pluie par désobéissance volait beaucoup trop bas, et de plus avait grande envie de se déverser un peu pour voir l'herbe reverdir et les toits des maisons se colorer. Il fut vertement rappelé à l'ordre et, pour punition, contraint de soutenir la bulle, de peur qu'elle ne crevât sous le poids se l'enfant.

Restait pour Rémi le danger de confinement dans cet habitacle trop petit et forcément sans fenêtre. Mais il avait tout prévu ! de sa poche il tira une paille ou un macaroni télescopique qu'il mouilla , du bout de sa langue et perçant doucement la bulle , sans la crever, il put aspirer l'air extérieur. Le soleil enfin  avait eu  raison des nuages, y compris celui qui soutenait la bulle: gros inconvénient ! La sphère descendait, descendait  dangereusement !

Mais, "à quelque chose malheur est bon!" , la nuée dissipée, on pouvait voir les sites survolés! Rémi passa au dessus d'une importante citée dotée d'un stade sportif absolument fabuleux. Pas très loin vue du ciel, une autre cité apparut dont la haute église gothique aurait honoré plus d'une métropole. Une route blanche et droite reliait ces deux villes.

Mais pourquoi, se demanda Rémi, cette longue clôture de fil de fer barbelé barrait-elle ainsi la route, sans aucune ouverture ? Le temps lui manqua malheureusement pour réfléchir car l’aéronef en plongeant allait droit sur une flèche haute de l'église!

Que faire ?  Que dire ?

Stopper les machines !! La barre à tribord !! 180° !!


le vrai danger ne vint pas du côté ou Rémi l'attendait !..."





" ...Un guetteur de pierre, monstre moitié homme moitié animal, accroché aux superstructures de l'édifice, s'anima soudain et vit d'un très mauvais œil cette chose volante. Son cri d'alarme resta sans écho. Alors dans les combles, il trouva  bois et corde pour faire un arc et décrochant la flèche rouillée et barbue indicatrice de la direction des vents, il tira et embrocha la bulle; Et ploum ! Plus d'aéronef ! 

Des curieux virent descendre en planant le manteau royal. Mais Rémi, toujours coiffé de sa couronne fut, lui, embroché et sauvé par une autre flèche, celle de la cathédrale. Il ne dut son salut, sans égratignure qu'à la solidité de ses bretelles et à la bonne fixation des boutons auxquels elles étaient accrochées. 

L'enfant hurlait et gigotait suspendu la haut !  Vous parlez d'un remue-ménage chez les citadins ! Jamais de mémoire de centenaires, on n'avait vu pareil événement ! A grand renfort de camions, d'échelles extensibles, de pompiers alpinistes, on parvint à décrocher Rémi du clocher pointu qui s'était pris un moment pour un espadon. Enfin ramené au sol en douceur, le petit monarque sentit son cœur retrouver un rythme normal. Mais ce qu'il retrouva aussi ce furent les honneurs, attribués à un monarque pourtant destitué !

Le manteau royal bien nettoyé fut remis sur les épaules de l'enfant et lui-même transporté, dans une maison princière peuplée d'une foule de serviteurs et de servantes prêts à satisfaire ses moindre désirs. Décidément, dans cette équipée, Rémi allait de surprise en surprise!


Mais à ce point du récit, un explication s'impose. Par discrétion nous appellerons  "A" la première ville survolée par Rémi et par "B"  la seconde .Leurs habitants seront les "Atiens" et les "Bétiens" . Depuis un temps immémoriaux, une grande animosité opposait les deux cités et personne n'en savait plus la raison. La double clôture de fil de fer, rappelez-vous! avait été dressée par méfiance, par suspicion, pour éviter toute incursion ennemie d'une part comme de l'autre. Certes des malins parvenaient à s'infiltrer en "A" ou en "B" et même des idylles clandestines, se nouaient, mais n'étaient-elles pas d'avance vouées à l'échec ?  Et si quelque audacieux ostensiblement sautait la clôture, il risquait fort d'être accueilli de l'autre côté par une volée de bois vert..."





                            "... Tout cela devenait pesant : les Atiens et les Atiennes auraient bien voulu célébrer leurs mariages dans l'église de "B". Les habitants de "B" souffraient de se voir interdit le stade sportif de "A". Alors que faire ? Personne, bien-sûr ne voulait prendre d'initiative pour la paix ou tout au moins une trêve.

Alors Rémi, dans sa bulle était arrivé à point nommé! Pourquoi ? Eh bien ! figurez-vous qu'un devin naguère (Tous les anciens Atiens et Bétiens s'en souviennent) avait fait la prédiction suivante:

      _Un enfant roi viendra du ciel et apaisera vos querelles...

L'annonce étant tombé des nues et de quelle façon ! Les Atiens et les Bétiens pensèrent que l'occasion était la bonne  et décidèrent de lui faire porter la responsabilité de la réconciliation.

La paix enfin allait régner entre les deux cités. C'était possible puisque tous y croyaient. Un dimanche matin, au son des cloches de la cathédrale, un immense cortège se porta vers "A" par la route toute droite fermée en son milieu.

       Ah! mes frères, quelle procession! avec le curé, les enfants de chœur, le bedeau, le maire ceint de son écharpe, la fanfare et les scouts, sans oublier Rémi le petit roi, en tête bien sûr, et porteur des attributs de son titre. Arrivées à la clôture, les cisailles entrèrent en danse pendant que la fanfare joue la valse du casse noisettes. Clic, clac, clic, clac...Ça y est, la route est libre!!...


La chaleur de l'accueil des Atiens dépasse toutes les espérances. Pas besoin de prêche, ou d'explication. On pleure, on rit, on s'embrasse ! Et le soir, les bals populaires égrènent leurs flonflon à la lumière des flambeaux et des lampions, cependant que des feux d'artifice illuminent le ciel !..."




                  "...Le devin avait vu juste: l'embellie entre "A" et "B" devint tenace. Dans quelques mois, la naissance de petits "Abétiens" allait conforter cette tendance. Toutefois, le plus beau ciel bleu peut engendrer quelques nuages !

_ Pourquoi, dirent les Atiens, le petit roi ne tient-il pas résidence chez nous ?
_N'est-ce pas sur "B" qu'il a été parachuté, répondirent les Bétiens ,
_Oui, mais nous l'avons vu les premiers passer au dessus de notre cité !

( Toute analogie à une fable bien connue serait bien entendu, pure coïncidence!)

Cet état d'esprit risquait de provoquer une querelle car Atiens et Bétiens, on peut s'en douter ne brillaient pas dans l'art des compromis. Aucun édile des deux cités n'aurait envisagé que Rémi séjournât alternativement en  "A" et en "B" !

Alors le petit roi, conscient de ses responsabilités décida de s'enfuir, à la faveur de la nuit ne laissant bien en évidence qu'un message écrit. 

La lettre disait ceci:

"Atiens et Bétiens : il vous est bon que je disparaisse. Venu du ciel, je n'appartiens ni à "A" ni à "B". Mon souvenir fera mieux que ma présence pour entretenir vos bonnes relation. Adieu!

Rémi ne se rappelle pas comment il est revenu chez lui, auprès de ses parents. A-t-il effectué le voyage en fraude dans un train de marchandise, en compagnie d'un vieux clochard ivrogne ? Est-il monté clandestinement sur un camion, embusqué derrière des cageots de haricots verts ?

Mais le voilà dans sa chambre, dans son lit, en convalescence d'une grippe, au dire de sa maman, qui ajoute:

_Ta fièvre et ton délire nous ont beaucoup inquiétés, ton père et moi, mais maintenant l'alerte est passée; demain tu pourras te lever.

Le jour suivant, Rémi, malgré ses jambes de flanelle est allé se promener au bord de la falaise. Vers la crevasse, plus de tube de carton ni de pieu, mais l'enfant remarque une longue corde dont un bout descend dans la faille..."



                              .    .     .   .
                                     
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Fin de la nouvelle de André E. : Bulle





samedi 24 août 2019

Fidèle


Mon nom est Fidèle. Quand je me reporte à mon enfance, je me rappelle que l'école et l'étude n'étaient pas ma tasse de thé. En revanche mes fonctions d'enfant de chœur, c'est à dire d'assistant du prêtre à l'église, m'apportaient beaucoup de satisfaction. Le maniement de l'encensoir en particulier m'enchantait par-dessus tout. Il faut ici que je donne une explication nécessaire à la compréhension de l'histoire.

L'encensoir ressemble à une bonbonnière qui s'ouvre par un jeu délicat de chaînettes. La partie haute celle qui se soulève, est percée en plusieurs points pour laisser passer la fumée odorante de l'encens.

Un peu avant la cérémonie appelée « salut au Saint Sacrement », un petit charbon spécial, préalablement rougi d'un côté à la flamme d'une bougie, est placé dans l'encensoir. Pendant le Salut, quand le prêtre le demande, l'enfant de chœur lui présente l'encensoir ouvert. Alors l'officiant dépose sur le charbon ardent de la poudre d'encens dont la fumée honorera le Saint Sacrement exposé sur l'autel...

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Et maintenant place à l'histoire...Je vais essayer d'évoquer pour vous comment se déroulait la procession de la Fête-Dieu, c'est à dire la fête du Saint-Sacrement.

A cette occasion, tous les enfants de chœur étaient mobilisés : les uns porteurs d'encensoirs qu'ils balançaient harmonieusement, les autres tenant dans leurs mains, une corbeille remplie de pétales de roses qu'ils répandaient sur le sol tout le long du chemin. Suivaient les prêtres et ensuite l'officiant porteur du Saint-Sacrement abrité sous un dais.

Cette fois-là je faisais partie des thuriféraires. Un petit charbon incandescent avait été placé dans chacun des encensoirs. En marchant je m'aperçus que le haut du mien était soulevé et ne se fermait pas. Pour remédier à cela, je secouai un peu les chaînes, mais dans ce mouvement, le petit charbon sortit et tomba à terre !... Je ne pouvais quitter mon rang pour le ramasser et imaginais avec horreur ce qui allait arriver...La procession se dirigeait vers un terrain herbeux où des reposoirs – c'est à dire des autels de fortune abondamment couverts de nappes blanches et de fleurs – étaient érigés de proche en proche. A chacun de ces reposoirs, la procession allait s'arrêter pour un salut au Saint-Sacrement. Alors, tous les encensoirs seraient présentés ouverts au prêtre pour y recevoir l'encens et un seul, le mien, serait vide de charbon incandescent. Je ne manquerais pas d'être jugé sévèrement.

Et ce qui devait arriver arriva : quand l'officiant vint à moi avec sa petite cuillère pour déposer l'encens dans mon encensoir, je vis ses sourcils se soulever et s'abaisser en une mimique de surprise et d'inquiétude. Et, pour mon grand dam, la scène se renouvela cinq fois.




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Le temps passa, mais loin de s'effacer, le souvenir de ma mésaventure resta gravé dans ma mémoire et devint une véritable obsession doublée d'un complexe de culpabilité.

Une nuit, je fis un cauchemar : je me trouvai dans une église sombre et lugubre, non loin de la chaire du haut de laquelle un prêtre faisait un prêche. Il avait pris la foi pour thème de son sermon.
- Mes frères, disait-il, gardez-vous de perdre la foi, ce feu qui chauffe et illumine votre âme ; sinon que vous restera-t-il ? N'est-il pas écrit dans l’Évangile : « si le sel s'affadit, avec quoi salera-t-on ? » Et moi je vous dis : si le soleil s'obscurcit, comment le réchauffera-t-on ? Et si l'encensoir perd son feu intérieur, comment encensera-t-on le Saint Sacrement ?

A ces derniers mots, je rentrai ma tête dans les épaules ; le rouge de la honte envahit mon front ; tous les regards de l'assistance semblaient braqués sur moi.Mais ce rêve me fit comprendre que la perte de mon petit charbon symbolisait et illustrait mon manque de foi . Et je sus intuitivement que la première chose à faire pour réchauffer une foi défaillante était de retrouver le petit charbon . Mais comment y parvenir ?...


Je passai toute la matinée à chercher des solutions à ce problème. L'après-midi, je quittai la maison pour me changer les idées. Dehors régnait une grande tempête, le vent faisait tourbillonner tout ce qui traînait à terre. Un coup plus violent de l'aquilon souleva ma pèlerine et m'emporta très haut et très loin dans les airs. Combien de temps dura mon vol dans les nuages ? Je ne saurais le dire mais j'atterris enfin dans une clairière, entourée d'arbres étranges, tout couverts de grosses fleurs rouges à trois pétales. Mais ô surprise ! En m'approchant je vis que chacune de ces fleurs portait en son centre un petit charbon d'encensoir !....

Celui que j'ai perdu lors de la procession, me dis-je, se trouve dans une de ces fleurs mais sur quel arbre est-il perché ? Ils se ressemblent tous.... Après de longues recherches, je découvre sur un tronc une lettre gravée sans doute au couteau par un enfant : la lettre F. Mais oui, c'est évident ! F comme foi ou comme Fidèle. Aussitôt tel un singe, je grimpe et me lance à la conquête de l'arbre. Toutes ses fleurs rouges se ressemblent et répandent une odeur d'encens . Laquelle faut-il cueillir ?

Tout à ma perplexité, je n'avais pas vu un petit écureuil qui faisait de l'acrobatie sur les branches de l'arbre. Mais son raffut attira mon attention. Les écureuils ne mangent pas les morceaux de charbon, fussent-ils ecclésiastiques, mais ils ne manquent pas de curiosité. Mon petit rongeur flairait ces pseudo- boutons à l'intérieur des trois pétales rouges. L'un de ceux-ci lui procura des éternuements. Intrigué, je le décollai de sa fleur et me mis à flairer à mon tour : il sentait le brûlé... quoiqu'il fût intact, il avait connu l'épreuve du feu ! Mon cœur se mit à battre à tout rompre : j'avais enfin trouvé ce que je cherchais !

Le petit charbon en poche, je redescendis de l'arbre et le vent de la tempête me ramena par la voie des airs à mon point de départ, près de ma maison.
Maman sur le pas de la porte fronça les sourcils en me voyant arriver :

* D'où viens-tu par un temps pareil et avec cet air béat ? Voyons, quand cesseras-tu de rêver ? Quand redescendras-tu sur terre ?

* C'est ce que je viens de faire, répondis-je en éclatant de rire.

Mais elle ne comprit pas ce que je voulais dire.
Toutefois, je n'allais pas exaucer ma mère sur le chapitre des rêves et, dût son amour en souffrir, il me fallait absolument sacrifier à la magie. La cabane du jardin et tous ses sortilèges m'attendaient. Dans ce cagibi, on trouvait presque toujours ce que l'on cherchait. En effet, en me salissant, et en respirant la poussière, je découvris une vieille soucoupe tout ébréchée, une bougie et ô bonheur une boîte d'allumettes bien sèches.

Vite, à la flamme de la chandelle, je fis rougir mon petit charbon sur un côté et déposai celui-ci sur la soucoupe. Je sais qu'alors ce combustible magique doit rougir peu à peu entièrement sans que personne n'y touche, sans qu'on souffle dessus. Le jour commença à décliner, je me promis de retourner à la cabane au crépuscule. Mais quand je revins, une surprise m'attendait. Je pensai trouver mon petit charbon presque entièrement transformé en cendres. Mais non ! Il était intact et tout entier incandescent. Comme le buisson de Moïse, « il brûlait et ne se consumait pas ». Je revins le voir tous les soirs à la tombée de la nuit. Sa lumière faisait prendre à la cabane des lueurs de coucher de soleil. A le contempler, je sentais s'allumer en moi une chaleur intérieure qui s'irradiait jusqu'à la périphérie de mon être.
Le temps a passé... Des années...des dizaines d'années...Je ne sais pas ce qu'est devenu mon petit charbon. Et je me demande même parfois si je n'ai pas rêvé, imaginé toute cette histoire.

Mais voyons, soyons sérieux. Je ne vais pas recommencer à douter...

                             .    .    .

                                  .   

                 
Fin de la nouvelle de André E.  :  Fidèle





vendredi 23 août 2019

Monsieur Nul





Monsieur Nul n'était pas heureux. Personne ne s'intéressait à lui. Cela avait commencé à sa petite enfance. Dans ses recherches pour agrandir le champ de ses connaissances, il avait découvert un grand trou dans la clôture de bois qui séparait la propriété de ses parents de celle de ses voisins. Passant par l'ouverture, il trouva sous les frondaisons du parc un petit garçon de son âge, occupé avec ses jouets de bois. Le bambin était entouré de ses parents: le père assis sur une chaise lisait son journal. la mère à demi allongée sur un fauteuil à bascule faisait du tricot.

Les deux enfants jouaient et de temps en temps une injonction tombait qui ne s'adressait pas au petit Nul:
_Évite de te salir Frédéric
_Ne t'assois pas par terre je t'en prie!
_N'envoie pas la terre partout autour de toi!

Au moment du goûter Frédéric reçut pour tromper sa faim un pâté à la confiture d'abricot. Le petit Nul se contenta, lui, de sucer son pouce et ne fut gratifié d'aucune parole d'observation ou d'interdiction. C'était comme s'il n'existait pas. Finalement, gêné il se retira et franchit la clôture de bois, sans que le papa et la maman de Frédéric s’aperçussent de son départ. 

À l'école, ce fut le même scénario: le petit Nul, classé dans les moyens, ne se faisait remarquer ni en tête ni en queue de sa classe. Ses devoirs étaient toujours taxés de la note "passable", sans aucun autre commentaire. On ne l'interrogeait jamais. Pas de compliments ni de punitions...Ah! si...Une fois, pour une faute qu'il n'avait pas commise. Cela arrive, hélas! quelquefois et les enfants en sont gravement touchés. Le petit Nul fut presque heureux d'avoir été
enfin remarqué. Il fut relégué au fond d'une classe poussiéreuse à faire des exercices de français, pendant que ses camarades, tous coiffés de leur béret et revêtus de leur pèlerine s'égayaient sur la colline où un replat leur offrait la possibilité de jouer au foot-ball.

Il ne fut pas repris le soir, après la promenade, comme promis, car on l'avait une fois de plus oublié, et il fut contraint, à la nuit tomber, de revenir seul à la pension. Le passage de l'enfance à l'age adulte ne vit aucun changement dans l'isolement de monsieur Nul. lors des réunions et des fêtes, c'était comme s'il n'existait pas et si, par hasard la réplique lui était donnée, c'était en regardant quelqu'un d'autre, comme si la phrase ne venait pas de lui, on ne lui servait pas le fromage ou le dessert. Il fallait réclamer à plusieurs reprise. Une fois, il demeura trois quart d'heure à sa table sans être servi. Quand enfin il osa réclamer, on lui répondit: "Oh! excusez-moi! je vous avis complètement oublié".

Lors d'un voyage organisé, il dut, un matin demander trois fois son petit déjeuner, alors que tous les gens de son groupe s'étaient envolés pour rejoindre leur véhicule. Monsieur Nul essaya enfin de retrouver son groupe mais trop tard. L'engin s'éloignait déjà. Personne à bord ne s'était aperçu de l'absence du retardataire. A son travail, Monsieur Nul dut subir la même indifférence et de ses collègues et de ses supérieurs. Une fois par an, suivant la tradition, il écrivait à "Monsieur le directeur" pour solliciter une promotion, sa lettre allait directement aux oubliettes et la seule réponse à sa demande se trouvait dans la prochaine fiche de paie totalement égale à la précédente.


Monsieur Nul en vint à douter de sa propre existence et se demenda si le "je" qu'il s'attribuait n'était pas une pure fiction grammaticale





Un soir qu'il cogitait ainsi à la nuit tombée, il ne vit pas en marchant sous le lampadaire son ombre passer entre ses jambes et s'allonger devant lui. Très inquiet il rentra précipitamment chez lui et alluma toutes les lampes. Campé devant la grande glace de son armoire il voulut voir son reflet , mais le miroir ne lui renvoya aucune image. Monsieur Nul était tellement nul qu'il lui arrivait d'atteindre la transparence. Il se coucha et s'endormit; en rêve il se revit tout bébé dans son berceau. A ses côtés une femme d'une grande beauté et dotée de deux ailes déposait près de lui un précieux cadeau dans une boite richement enrubannée.

Le jour venu il se demanda pourquoi il avait fait un rêve aussi cocasse, mais une petite voix, en lui, disait: Non pas cocasse; tu as vraiment reçu à ta naissance un don précieux de la part d'une gentille fée, mais tu ne le sais pas encore!

Il allait le savoir bientôt en donnant des soins à la seule plante qu'il possédait. Au début celle-ci, taillée en parasol, riche en feuilles vernissées, donnait de belles fleurs rouges pendues au bout de leurs minces tiges comme les pendeloques d'un lustre. Puis les felurs avaient peu à peu disparues et les feuilles même se mirent à tomber, comme ça en pleine verdeur.

Tu es devenu comme moi, lui dit monsieur nul, parfaitement inutile, mais je ne veux pas te laisser mourir. Pris d'une subite inspiration, il souffla longuement par trois fois sur la plante. Le lendemain
Ô bonheur! celle-ci était toute couverte de bourgeons, de feuilles bien vertes et bien drus. C'est ainsi que la plante retrouva des forces et refit une santé. Monsieur Nul eut une autre occasion de vérifier le don de la bonne fée. Alors que, de sa fenêtre, il regardait en bas une petite fille sauter à la corde, celle-ci glissa au bord du trottoir et se tordit la cheville. La malheureuse enfant criait de douleur. Monsieur Nul accourut et constata que la fillette avait bien une foulure. sa cheville enflait à vue d'oeil. Il la fit assoir et souffla longuement sur la cheville. Douleur et enflure disparurent aussitôt. La petite sauta sur ses pieds et dansa de joie. 






-"Maman viens voir le monsieur m'a guérie!"
-"Je vous remercie beaucoup monsieur" dit sa mère
-"et puique vous êtes guérisseur, pourriez vous rendre visite à ma vieille mère qui souffre cruellement d'une arthrite à l'épaule?"

C'est ainsi que commença la carrière médicale de monsieur Nul. La vieille dame guérie, il reçut une large rétribution qu'il ne put refuser sans gêner sa patiente. Le téléphone arabe fonctionna à merveille. De bouche à oreille, on répétait partout les prodiges accomplis par monsieur Nul. On ne tarda guère à frapper à sa porte, qui pour un genou, qui pour un pied, qui pour l'estomac. Bientôt Monsieur Nul n'eut plus une minute à lui. Les patients se tenaient en file sur vingt mètres près de sa porte. Il était devenu un grand médecin, courtisé, écouté, le moindre de ses propos était retenu comme un oracle.

La médecine légale prit vite ombrage de la renomée de ce prétendu guérisseur et finalement, on intenta un procès contre lui. Le pauvre diable fut traîné en justice mais avec une salle pleine de ses admirateurs. Quand ces messieurs de la cour apparurent, avec robes et fourrures, monsieur Nul comprit à la vue de leurs visages hargneux que l'on voulait sa peau.

Ce ne fut que vocifération: monsieurNul était un escroc, un simulateur; on lui découvrit tous les vices et toutes les tares. Cette meute laissait si peu de place à l'avocat de la défense qu'on ne l'entendait même pas. Quand l'accusateur public entonna son réquisitoire en fustigeant l'usurpateur d'une voix tonitruante, monsieur Nul, souffla sur cette horde. Instantanément elle fut guérie du tout au tout. Monsieur Nul fut couvert de louanges; c'était un honorable praticien, un grand bienfaiteur de l'humanité; il fallait le proposer tout de suite pour le nobel de la santé. Le non lieu fut prononcé sous les salves d'applaudissements de l'assistance et le bienfaiteur de l'humanité fut porté en triomphe à son domicile. Il reprit ses consultations, à longueur de journée, de plus en plus gêné de cette notoriété qui ne laissait aucune place à sa vie privée.

Un jour franchement écoeuré,il mit sur sa porte un panneau d'absence de longue durée, en emportant tout l'argent qu'il avait obtenu pour ses guérisons. Il gagna un lointain désert pour une année sabbatique. 


                                     


Nous le retrouvons sur un sol inégal et caillouteux, à l'heure où le soleil implacable commence à décliner. Il est occupé à attraper des sauterelles et à cueillir des figues de barbarie pour sa nourriture. À quelques pas, une grotte constitue son abri pour les heures chaudes et pour la nuit. Il partage cette "résidence" avec une pauvresse en haillons qu'il a guérie de la lèpre. Tout s'est passé il y a quelques jours; en pénétrant dans l'abri il a remarqué dans un coin un grabas portant une forme remuante: une femme d'une cinquantaine d'années, visiblement lépreuse.

-"Femme!", lui a t-il dit " Je peux te guérir, mais tu ne rajeuniras pas et tes doigts resteront mutilés! déshabilles-toi!

Malgré la terreur que lui inspirait cet inconnu, elle s'est dévêtue. Alors il a soufflé longuement sur son corps malade et instantanément elle a été purifié. Depuis ce jour, le couple insolite vit dans la grotte, chacun se nourrissant de ses cueillettes dans le sable et buvant l'eau pure qui tombe des hauteurs de la caverne dans une vasque.




La femme n'a pas remercié pour sa guérison. D'ailleurs elle ne parle jamais. À la nuit tombée, chacun se couche dans un coin de la grotte sans même se dire , bonne nuit Combien de temps dura cette vie au désert? Difficile à dire, car au désert, on ne sait plus compter. Le temps s'étire et se dilate.

Un jour banal comme les autres, Monsieur Nul découvrit en se déshabillant des tâches brunâtres sur sa peau, qui était pourtant propre! Intrigué, il surveilla ces tâches qui au fil du temps s'étendaient et se multipliaient. Monsieur Nul pouvait bien redonner la santé à l'humanité entière, mais il ne pouvait pas se guérir lui-même!


Il faut pensa-til que je vois un médecin. Gagner la ville la plus proche lui prit plusieurs jours. Arrivé dans cette cité toute blanche, il sonna à la porte du médecin. Celui-ci examina les tâches, le palpa, puis il banda les yeux du malade lui piqua les pieds avec une longue aiguille fine en disant: "Sentez vous quelque chose?" "Non" répondit monsieur Nul dont les extrémités postérieures étaient devenues insensibles. Lors le docteur déclara: 


-"Mon ami vous êtes atteint de la lèpre." 
-"Quelle horreur! me voilà rayé des vivants et condamné à une mort dans la décrépitude!" 
-"Ne vous alarmez-pas ainsi la lèpre se traite aujourd'hui, j'ai vu des guérisons spectaculaires! Nous allons vous soigner énergiquement! Tout d'abord je prescris un régime alimentaire qui exclut les excitants: pas d'épices, d'alcool, de café ou de thé. Ensuite il vous faudra veiller à la propreté corporelle en prenant des bains fréquents."

Un sourire fleurit sur le visage du patient. Le régime ne poserait aucun problème dans le désert, quand au bains fréquents, ce serait plus difficile! Enfin on verra bien se dit-il mentalement! le docteur prescrit enfin des médicaments. De la pommade à étendre sur les partis malades et de l'huile de chaulmoogra à absorber en capsules.


-"Voilà"! décréta le spécialiste comme point final. À son retour à la grotte, monsieur Nul vit que la femme par lui guérie était partie en emportant toutes ses hardes, et sans un mot d'adieu. Grande fut la tristesse du guérisseur, car malgré son mutisme, cette femme lui tenait compagnie.

À cela s'ajoute un autre ennui. Non seulement les remèdes ne faisaient pas d'effet mais le mal empirait. Certes les tâches brunes disparaissaient peu à peu, mais maintenant , le visage de monsieur Nul était couvert de petites tumeurs et son teint devenait terreux. Le pauvre homme pouvait maintenant se faire remarquer, au moins par sa laideur, mais cela ne lui plaisait pas. En outre , il sentait ses forces diminuer progressivement. L'angoisse le prit et, la nuit, il fut très long à s'endormir. Mais sa bonne fée protecrice lui rendit visite au milieu de la nuit dans un rêve. 

-"Tu peux guérir de la lèpre, mais il te faut choisir; si tu retrouves la santé, tu perdras pour toujours ton don et tu ne pourras plus pratiquer aucune intervention médicale.

-"Je veux guérir!" dit-il en tapant du poing! 

-"Alors demain matin, en sortant de la grotte, marche droit devant toi! Tu trouveras une mare d'eau
croupie et puante. Tu t'y plongeras tout habillé! Oui j'insiste! Avec tes chaussures, ton chapeau aussi! 

Et elle disparut.

Au petit jour, la mare fut facilement découverte et, bien que ce marigot infect lui donnât la nausée, il s'y plongea, des pieds à la tête et des chaussures jusqu'au chapeau vissé sur les oreilles! Et bien! Le croiriez-vous! Monsieu Nul ressorti complètement guéri de cette eau malade!

Le miraculé quitta sa grotte et après avoir longtemps marché, une ville bruyante lui ouvrit ses portes. Une foule multicolore se pressait dans des rues étroites. Monsieur Nul essayait de se frayer un passage dans cette cohue. Mais les passants semblaient ne pas le voir et le heurtaient sans un mot d'excuse.

Voilà! ça recommence soupira-t-il. Je suis revenu à mon point de départ! Mais je sais ce que je vais faire. Avec tout l'argent que j'ai gagné et que je n'ai pas dépensé dans le désert, j'entrerai à la faculté de médecine. Quand j'aurai obtenu mon diplôme et prêté le serment d'hippocrate, j'ouvrirai un cabinet de consultations. Ce sera bien le diable si je n'obtiens pas quelques guérisons et la fidélité de quelques patients. Alors malgré l'enfer et toute sa clique! on se souviendra de moi!  

Et c'est ce qu'il fit!  






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Fin de la nouvelle de André  E.  :  Monsieur Nul